« Hunt to forget. » || SOLO.

Impossible de trouver le sommeil. Il avait eu beau se tourner, se retourner, changer mille et une fois de position, tenter de passer la nuit à la belle étoile aussi bien qu’à l’intérieur de la grotte, rien n’y avait fait. Résolu par le fait qu’il n’aurait pas le droit à ce repos mérité ce soir, le brun après avoir silencieusement poussé un ronchonnement, bien vite effacé, en oublia son sommeil pour gagner de la hauteur sur ses pattes. Se hissant sur ses quatre membres, il ne prit pas franchement la peine de s’arranger avant d’entamer une sortie de la faille qui caractérisait le mode de vie de sa meute. Prenant le plus de soin possible pour naviguer en silence et avec souplesse, il esquiva avec aisance les corps jonchés sur le sol de ses camarades et malgré les ronflements et les bruits étranges de certains, il n’en réveilla aucun sur son passage. Il ne s’attarda sur aucun corps, aucun visage, pas même celui de son paternel, pas même celui de celle qui l’avait élevé, le regard fixé sur l’entrée béante qu’il devinait au loin. Il y parvint finalement sans trop de mal et sans trop faire de remous, les rayons de la lune accueillant ses pupilles forcées de se rétracter. Un rien sur le visage, il se laissa glisser en dehors de cette tanière qui était un abri pour tous, mais également un terrain de chasse précieux lorsqu’il s’agissait de prendre les animaux abrités dans ces cavités. Aujourd’hui, il n’avait pas eu envie de choisir cette voix-là. Et si le sommeil de ses camarades y était pour beaucoup, il avait également cette envie irrépressible de mettre un peu les voiles, d’élargir la distance entre ses camarades et lui, malgré toute la gentillesse et l’affection qu’il pouvait porter à la plupart.

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Il lui semblait avoir toujours été ainsi. Du moins, d’aussi longtemps qu’il s’en souvienne, depuis qu’il avait appris la cruelle et simple vérité, il n’avait eu de cesse que de se renfermer sur lui-même. Bien sûr que des loups lui avaient tendus la patte, sa mère adoptive la première. Mais il faut croire que cela n’avait pas suffi à le sortir du gouffre dans lequel il se précipitait lui-même tête la première, pattes ballantes. À bien y regarder, il n’avait jamais réellement fait d’effort pour se sortir de cette solitude dans laquelle il était entré très jeune. Il n’avait eu de cesse que de s’éloigner davantage, se fondant dans des retranchements toujours plus profonds de jour en jour. Et ce en dépit des visages souriants, des amis qu’il pouvait bien avoir au sein de la meute, de ceux qui comptaient sur lui et sur qui il pourrait lui-même compter si seulement il le voulait. Mais voilà, vouloir c’est déjà beaucoup demander. Peut-être même trop. Laissant ses pattes emprunter un chemin déjà cent fois piétiné, son esprit décida, malgré lui, de grimper jusqu’au sommet de l’Agonie, comme les siens aimaient l’appeler. Ce n’était ni plus, ni moins, que le sommet de la montagne sur laquelle ils s’étaient perchés durant leur fuite, enfin leur ancêtre puisque de l’eau avait coulé sous les ponts depuis la grande fuite déjà. Un simple sommet, en haut de la demeure principal de la Faille Enragée. Un simple sommet qu’Anoki n’avait pas peur de gravir et qui n’avait plus réellement de secret pour lui. S’accordant le droit d’une pause une fois arrivé à destination, il se laissa un moment grisé par le vent qui s’engouffrait en masse dans ses poils, le faisant se sentir un peu libre malgré l’enclume qu’il se clouait aux pattes. Là, il allait pouvoir rendre service à sa meute, en retour de tout ce qu’elle lui offrait. Il lui devait bien ça.

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Cette meute, elle lui avait tout offert. Elle avait commencé par lui offrir une mère. Et même si le ciel le lui a pris, elle lui aura au moins permis d’exister. Elle lui aura offert une mère de substitution, qui l’aura aimé et l’aime encore comme s’il était la chair de sa chair. Elle lui aura offert du réconfort lorsque son paternel lui scandait qu’il était l’abomination qu’il ne voulait plus voir, la cause de la mort de sa propre mère. Elle lui avait ensuite offert des épaules sur lesquels s’appuyer, même s’il ne s’y était jamais vraiment cramponné. Elle lui avait aussi offert des jours sans peine. Des jours propices à l’entraînement. Des jours propices à la réflexion. Elle lui avait offert un rang. Une raison de se lever chaque jour ou de ne pas se coucher. Une raison de continuer de vivre malgré tout. Une raison de continuer d’avancer envers et contre tous. Envers et pour tout. Elle lui avait offert un cadre duquel il était incapable de sortir et heureusement d’ailleurs. Elle lui avait offert si ce n’est la plus grande des stabilités, au moins les prémices d’un équilibre fragile. Il ne l’avait jamais renié. Il n’avait jamais craché dessus. Même dans les pires moments. Il ne se souvenait d’ailleurs pas d’avoir craché sur quelqu’un d’autres que sur le destin lui-même. Ce même destin qui dictait sa conduite et sa loi sans que rien ni personne ne puisse interférer avec ses dires. Au fond, ils étaient tous les marionnettes d’un seul être tout-puissant. Tout le monde ne croyait pas à cette théorie, mais la superstition, le fait que rien ne soit réellement dû au hasard, tout cela faisait partie intégrante d’Anoki. Non pas qu’il craigne cette puissance. Non, il chercherait plutôt à en capter la moindre intensité, à en saisir la moindre connaissance, en vain. Il se retrouvait chaque fois rabaissé à ce rang de simple mortel, de simple sujet, de figurant.

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Et en songeant un instant à tout cela, le brun se laissa embarquer dans un vague état de léthargie. Pensif, il laissa ses pattes le mener jusqu’au bord du précipice, allant jusqu’à effleurer de très près le sommet véritable de ce mont. La roche coupante en ce point culminant aurait menacé de couper les coussinets de n’importe quel loup venu de n’importe qu'elle zone de cette mappemonde. Enfin, n’importe qu'elle zone mise à part ce mont lui-même. Il faut dire qu’à force de piétiner sur les rochers, les coussinets des loups se sont fait à cette matière, devenant plus dur et bien plus résistant que ceux de leurs congénères lambdas. Et c’est peut-être à ce titre d’habitude, d’adaptation à la topographie, qu’Anoki n’avait souffert d’une quelconque entaille aux coussinets, encore aujourd’hui. Un rien sur le visage, ne laissant aucune expression contrecarrer la concentration qu’il retrouvait dans un élan de lucidité, il laissa son flair aller de bon train. Humant chaque centimètre cube d’air qui pouvait passer à sa portée, le loup finit par repérer un fumet qui lui semblait encore frais. Et alors que les doux rayons lunaires éclairaient le vide devant lui, il fit gracieusement demi-tour, remontant la piste qu’il avait finalement jugée bonne à suivre, suffisamment à son goût et justement prometteuse pour lui intimer l’ordre de la relever. Des pas souples et agiles s’ensuivirent, portant un corps musculeux, alliant force et rapidité. Dans ce domaine, il ne faisait pas défaut à la rumeur que l’on comptait. Fort de quelques saisons d’expériences, des lunes entières à errer sur cette même montagne sans vraiment s’en éloigner jamais, le brun se fondait parfaitement dans son environnement, maîtrisant point par point les détails. C’était peut-être là une des seules choses qu’il ne laissait pas au hasard. Et prenant des pincettes pour ne pas se faire remarquer, il finit par tomber sur le dos de sa proie.

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Mettant une fin nette et propre à la vie du lièvre qui n’avait pas eu le temps de prendre le pas de course pour tenter de fuir son agresseur, Anoki remercia silencieusement le ciel de l’avoir placé là. S’il était certain de ses capacités, il doutait fortement d’une quelconque chance ou capacité à réellement dénicher les proies. Si elles étaient, c’était bel et bien parce que quelqu’un les avait mises sur le chemin des loups. Alors, si elles ne se précipitaient pas bêtement dans les pattes de leurs prédateurs, elles avaient au moins la décence d’exister et de sortir de leurs diverses cachettes et terriers. Ne perdant pas plus de temps que cela en rêvasserie inutile, le brun ramassa la proie fraîchement abattue et prit pour parti de tenter de ramener un petit autre chose. Son lièvre avait beau avoir fière allure avec son pelage brunâtre, il ne satisferait la faim que d’un loup tout au plus avec une si maigre pitance. Et si la charge de toute la meute ne lui revenait pas, cela lui permettrait au moins d’occuper cette nuit blanche qui se profilait. Prenant quelques secondes pour de nouveau poser ses yeux sur l’astre lunaire, émerveillé par sa splendeur, il finit par s’en détacher au détriment d’un petit effort. Reprenant la même tactique coup par coup, il se mit à humer l’air à la recherche d’une piste. Déposant son lapin dans une crevasse de la rocailleuse montagne, il dut faire quelques pas avant de trouver une vraie piste intéressante. Et s’il n’espérait pas trouver un si gros butin, il ne cracha pas sur l’opportunité de ramener une si belle prise à la grotte. Se dessinant sur une ligne rocheuse à quelques pas de lui, un jeune chamois, sûrement égaré, tentait d’y voir quelque chose dans la nuit. Ne détachant pas son regard une seule seconde de sa proie, Anoki ne lâcha l’affaire que quand il traîna la dépouille de l’animal jusqu’à la grotte, ayant récupéré au passage le lapin chassé juste avant.

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